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La vidéo, un medium féministe ? Suite de l’entretien avec le Groupe Intervention Vidéo

Le Groupe Intervention Vidéo, un centre montréalais d’artistes, accompagne les femmes réalisatrices de vidéos et les soutient dans la diffusion de leurs œuvres. Après m’avoir raconté l’histoire et les missions du GIV, elles m’ont parlé de la vidéo.

Contrairement au film de cinéma, qui nécessite une logistique importante et bien rodée, la vidéo est pensée comme un outil pour des amateurs et amatrices. Cette facilité d’accès incite des groupes non professionnels ; groupes communautaires, de travailleur.se.s, féministes, à se saisir de ce medium. Les femmes sont ainsi parmi les pionnières de l’utilisation de la vidéo, et l’investissent d’un sens politique.

Les membres du GIV sont revenues avec nous sur l’histoire de la vidéo, ses potentialités pour les femmes et les luttes féministes, et sur les thématiques qu’elles ont vu émerger et qui reviennent de manière cyclique.

Historiquement, comment se fait-il que le GIV se soit concentré sur la vidéo, à l’exclusion du film ?

Anne Golden (AG) : Dans les années 1975 on avait un ou deux long-métrages faits par des femmes au Québec, très peu de court-métrages. Les femmes sentaient qu’il n’y avait pas de possibilité d’accéder à ces moyens de production. La vidéo est pour elles devenue une façon de faire des œuvres plus facilement, avec moins de frais.
L’enjeu de l’accessibilité de la vidéo ressort dans tous les historiques sur la vidéo : on apprend plus rapidement, quand on tourne quelque chose on peut le voir tout de suite, ça peut être des petites équipes… ça n’était pas vraiment de la vidéo légère, même si ça se disait léger, mais ça pouvait être une équipe de deux ou trois personnes. Alors qu’un tournage cinématographique comprend en moyenne 10 personnes, même si tu fais quelque chose d’intime.

Annaëlle Winand (AW) : La vidéo quand c’est sorti, comme c’était plus accessible que le film, une autre population pouvait y avoir accès, c’est devenu un outil politique. Ça permettait de s’exprimer, de changer les choses avec un outil plus facile à manipuler, plus accessible. Les femmes se sont emparées de la vidéo parce que le cinéma était pour les hommes. La vidéo est devenue un outil qu’elles pouvaient exploiter pleinement, et faire ce qu’elles voulaient avec. C’était un autre rapport à l’objet qui faisait que c’était un outil politique, et ça s’est concrétisé dans le rapport à la caméra, le corps, le journal parlé, la performance.

La vidéo, en tant que medium, a eu un impact sur les thématiques traitées par les personnes qui s’en sont saisies ?

AG : Dans les années 1970, 1980 c’était dur de faire des vidéos dans le sens où c’était lourd, où faire le montage n’était pas évident parce qu’il n’y avait pas encore d’ordinateur, surtout dans le début des années 1970. Une artiste que j’adore, qui est décédée maintenant, Doris CHASE, était venue à Montréal en tournée. On était dans un train pour aller à Québec ensemble, et elle me dit « Anne veux-tu savoir comment c’était de faire de la vidéo dans les années 1970 ? Tu avais tes rubans de vidéo, quand tu voyais ce que tu voulais garder, tu coupais avec un ciseau, et tu collais ensemble »
Ce n’était vraiment pas précis et ce n’était pas évident. Des fois tu ratais ton coup. Tu coupais et tu réalisais que ce n’était pas ça.

Une des raisons pour lesquelles à la fin des années 1970 et au début des années 1980 on a une prise où le cadre ne bouge pas du tout, c’est pour que l’artiste puisse faire sa performance en direct devant la caméra parce qu’il n’y aura pas de montage. Ça c’est les années 1970. Le montage vidéo, on voit ça à partir de 1974, 1975. C’est pour ça qu’on voit des vidéos d’une certaine époque où c’est seulement un plan, qui dure 20 minutes. C’est à partir des années 1980 que les choses vont plus vite.

L’idée de performer pour la caméra ou d’utiliser la caméra comme confesseur, c’est quelque chose qui est encore présent dans la vidéo. On va encore voir des femmes assises devant la caméra et qui vont dire « j’ai quelque chose à vous dire ». Ça vient de cette époque-là.

« Le chez-soi ou la mémoire des lieux ordinaires. » Discussion et projection menée par Élaine Frigon, avec Chantal DuPont, Kristen Johnson et Petunia Alves.
Crédits : Groupe Intervention Vidéo, 2018

Dans le film de cinéma ça se passait de la même manière ?

AG : Pas du tout. L’histoire du cinéma est plus longue. Peut-être au début ça ressemblait un peu à la vidéo parce que les débuts du cinéma, c’est un plan fixe, c’est tout. Mais très vite après, l’art du montage s’est développé. Mais l’art du montage ne dépend pas de machines, ça dépendait de ciseaux, et de collage.

Est-ce que les femmes, au début de la vidéo, font un usage différent de la vidéo que les hommes ?

AG : Je pense que c’est vrai, et que c’est vrai au cinéma aussi. L’usage des caméras par des femmes est complètement différent de la manière dont les hommes tournent. Les sujets, la façon de tourner, le montage, tout.

AW : Aujourd’hui il n’y a plus une grande barrière comme il y avait auparavant entre vidéo et film. Il y a toujours des puristes qui ne tournent qu’en pellicule, des personnes s’attachent à un medium, la VHS par exemple, mais les pratiques ont changé, de manière plus latérale. Il n’y a plus de division stricte des sujets traités par la vidéo et par le film. Maintenant les choses se déplacent. Tu peux avoir du film fait par des femmes, complètement expérimental et esthétique et qui porte un autre message que le même film fait par un homme. Il y a une différence. Les thèmes ne sont pas les mêmes, la manière de traiter les objets n’est pas la même.

Est-ce subversif pour les femmes de faire de la vidéo ?

AG : Subversif je ne sais pas, parce que les femmes sont là au début de la vidéo, autant que les hommes, tandis qu’au cinéma on parle surtout des pionniers du cinéma. Dans l’histoire de la vidéo, que ce soit aux Etats-Unis, en Angleterre ou ici, il y a autant de femmes que d’hommes. Subversif, peut-être dans le sens que c’est de détourner les moyens de production pour garder des sujets qui ne sont vus nulle part sauf dans la vidéo.

Dans une interview pour un média local, Anne tu disais que les performances autour du corps des femmes étaient très en vogue dans les années 1980 et que les jeunes réalisatrices s’en saisissent aujourd’hui. Pourquoi ?

AG : Oui absolument. Ces tendances-là sont cycliques. Les trois quarts des jeunes artistes que je vois sortent d’une des quatre universités en environnement médiatique de Montréal. Elles prennent des cours d’histoire de la vidéo, d’histoire du cinéma, elles sont très au courant de ces questions. Je pense qu’il y a quelque chose qui les interpelle dans les œuvres qui parlent du corps. Mais pourquoi, je ne sais pas.

AW : C’est peut-être des questions d’identité. Ce sont des questions qui reviennent beaucoup dans les débats : identité sexuelle, identité de genre, identité culturelle, etc. Ce sont des questions qui reviennent beaucoup plus dans nos vidéos maintenant qu’il y a 10 ans.

AG : Ce sont des choses cycliques, mais qui changent. Les artistes qui parlent de corps aujourd’hui le font de façon complètement différente d’il y a 25 ou 30 ans. Mais elles sont inspirées largement de ça parce qu’elles connaissent leur histoire, la pratique. Elles ont appris la pratique.

projection de « WE NOUS WǑMEN 我们 » avec Lysanne Thibodeau, au GIV. Vidéo : « Miss Lee Has Soft Fingers And Beautiful Eyes » de Peng Yun, 2013.
Crédits Groupe Intervention Vidéo, 2018

Vous organisez tous les ans le festival « Vidéos de femmes dans le parc ». À l’occasion de ce festival, quelles thématiques voyez-vous émerger ces derniers temps ?

AG : Pour ce festival on laisse la thématique venir vers nous, s’il y en a une. C’est une démarche organique. On a d’autres programmations pour lesquelles on énonce le thème. Mais pour Vidéos de Femmes dans le Parc l’idée c’est de regarder les tendances dans la vidéo actuelle, ce qu’on reçoit, on regarde et on choisir en fonction : animation, archive, mémoire…

AW : Les deux grandes catégories de vidéos de cette année c’étaient des questions d’identité, et avec des considérations environnementales. On a aussi reçu plusieurs films autochtones, sur des questions d’identité, de langage. Et on avait beaucoup de films de nature, avec des considérations environnementales ou même juste esthétiques, mais qui parlent de nature et d’environnement. Après on avait de tout : de l’animation, de la vidéo d’art, de l’expérimental, de la VHS…

J’ai l’impression que ce sont les thématiques qui reviennent beaucoup en ce moment. Et je vois aussi des questions de medias : des personnes qui travaillent la vidéo de manière différente dans les plus jeunes générations, qui jouent sur les techniques. Dans les vidéos qu’on a reçues récemment, les questions d’identité reviennent. Et des questions de déplacements : de femmes immigrées ou de populations déplacées. On a une part importante de vidéos engagées. On a aussi une bonne part de films esthétiques et de vidéos d’art. Et dans les vidéos politiques ce n’est pas forcément du documentaire. Ça peut être aussi des vidéos d’essai ou d’expérimentation, politique.

Le festival Vidéos de Femmes dans le Parc, en juillet 2017. Crédits photo : Groupe Intervention Vidéo, 2018

Le festival Vidéos de Femmes dans le Parc, en juillet 2017. Crédits photo : Groupe Intervention Vidéo, 2018

Et vous, depuis combien de temps êtes-vous féministes ?

AW: À mon premier cri, en sortant des entrailles sanglantes de ma mère ! (rires)

AG : Bravo ! Même chose pour moi.

AW : C’est une excellente question. Est-ce qu’en tant que femme, tu n’es pas féministe de toute façon, d’une manière ou d’une autre ? Que tu t’en rendes compte ou non. Parce que le simple fait de faire ce que tu fais dans ton quotidien, pour moi c’est un acte féministe. Le fait de sortir dans la rue, d’oser mettre une minijupe en public, toutes ces petites choses qui font que tu t’affirmes dans un espace public, pour moi c’est un acte féministe. En grandissant tu rencontres des personnes, tu fais des lectures qui changent tes idées ou qui te forgent d’une manière ou d’une autre, qui te renforcent dans un certain type de féminisme ou un autre. Moi je me rappelle d’un grand tournant dans ma vie. J’avais une amie avec qui je suis très proche, on a grandi ensemble dans le féminisme, on se renforçait l’une l’autre, on lisait des choses, on rencontrait des personnes. Elle était très queer, donc j’ai connu tout cet aspect là. Mais mon grand tournant c’est quand j’ai lu King Kong Théorie de Virginie Despentes. Ça m’a mis un bon coup de poing dans la figure. À partir de là je me suis revendiquée militante, d’un certain type de féminisme. Je me suis rendue compte finalement que le féminisme était beaucoup plus large et plus complexe que je pouvais le penser. Qu’il était intersectionnel, qu’il engageait toutes sortes de femmes, toutes sortes de personnes qui s’identifient comme femmes, que ce qu’on lisait concernait souvent juste la femme blanche middle-class, etc. Je me suis rendue compte que ça c’était aussi une construction patriarcale du féminisme, et qu’il fallait éclater ça, et qu’il fallait repenser les choses toujours d’une nouvelle manière et inclure les visions des autres femmes, peu importe leur horizon, leurs origines ou leurs tendances. Donc c’était beaucoup plus complexe que ce que je pensais au départ.

Propos recueillis auprès de l’équipe du Groupe Intervention Vidéo, le 19 octobre 2017, à Montréal

Lire la première partie de l’interview : Le GIV et ses missions

Un centre montréalais d’artistes qui diffuse les créations de femmes : le Groupe Intervention Vidéo

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