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Noémie Albert

La sphère privée peut devenir rapidement collective

 À 15-16 ans j’aimais dire « je suis féministe », mais je pense que je ne comprenais pas vraiment ce que ça voulait dire concrètement, comme femme. Je ne militais pas pour moi, pour mon entourage, ou la femme québécoise de manière générale. J’avais vraiment l’impression qu’on était égales. Et puis c’est en vieillissant que je me suis rendue compte que c’est partout autour de nous.

Paroles de GéanteNoémie Albert

Noémie Albert
© Noémie Albert

Avec Noémie, nous nous sommes rencontrées grâce à une amie commune (qui aura aussi son portrait bientôt publié 😉 ).

Nous avons réussi à se voir juste avant qu’elle ne parte dans un périple de trois mois au Japon.

Féministe, végane, elle s’engage dans sa vie quotidienne, et notamment dans son couple. Elle et son copain, Fabien essayent, ensemble, de faire évoluer leurs représentations, leurs habitudes, pour construire une relation égalitaire. Et Fabien étant français, cela donne lieu à des réflexions dans leur couple sur les différences culturelles, notamment dans les relations amoureuses.

Elle revient sur la manière dont elle est devenue féministe, les liens qu’elle fait entre le féminisme et le véganisme, les sujets qui lui tiennent particulièrement à cœur, et les méthodes qu’elle et son copain ont développées pour faire évoluer leur relation.

Comment vous en êtes arrivés à parler de féminisme dans ton couple ?

C’est arrivé très rapidement. On n’habitait pas dans la même ville, on se parlait beaucoup par tchat. Et quand on se draguait au début, à un moment il me dit « est-ce que t’as de la lingerie ? ». Là je me suis dit qu’il fallait qu’on ait une petite discussion.

Ici il y a plein de filles qui portent de la lingerie aussi, mais ça faisait très étrange pour moi de me faire poser cette question-là. Il y avait aussi tout le choc culturel qui se voyait dans des petits détails comme la lingerie, le maquillage, le côté « gentleman » : ouvrir les portes, offrir des fleurs…

On a parlé un petit peu et je pense qu’il n’avait jamais vraiment réfléchi à la notion de privilège masculin. Je lui ai demandé « et toi, est-ce qu’une fille t’a déjà demandé quel genre de boxer tu portes ? ». Et je pense que c’est vraiment à partir de là que ça s’est déclenché, c’est là qu’il y a eu une sorte d’illumination. Quand il s’est rendu que ça n’était jamais arrivé qu’une fille lui demande.

C’était une petite chose, mais qui a déclenché une réflexion sur la question de privilège.

Il y a quelques temps en France la bédéiste Emma a fait ressurgir le débat sur la charge mentale dans les débats publics. Tu m’avais dit que vous y travailliez dans votre couple. Comme ça s’est passé ?

Nous on a commencé cette démarche au tout début qu’on en entendait parler, et maintenant on en entend davantage parler. Fabien m’avait envoyé un article, en me disant qu’il pensait qu’on avait un petit problème de charge mentale dans notre couple.

Notre exemple à nous ça a été l’épicerie*. La charge mentale c’est de réfléchir à ce qu’il y a dans le frigo, faire la liste, sortir les sacs, réfléchir à quand on va aller la faire, réfléchir à combien ça va coûter. Donc il y a l’action d’aller faire l’épicerie, mais il y a aussi toute la charge mentale derrière.

On s’est rendu compte que lui avait beau participer à la tâche, c’était moi qui faisais tout ce travail. Et quand j’en ai parlé avec des ami.e.s, c’était toujours les femmes qui prenaient en charge ce type de travail. On avait beau être fières de nos copains et dire qu’on était super égaux dans le couple, là c’était un peu déprimant, quand tu te rends compte qu’en fait non, finalement il y a ça à travailler encore.

Et comment avez-vous fait pour rééquilibrer les choses ?

Ça a pris du temps de trouver un système. Même lui était frustré, il se demandait comment faire en sorte de penser aux choses. Et moi je trouvais qu’il fallait qu’il fasse simplement un effort ! Finalement Fabien a trouvé des applications qui lui permettent de se faire des listes. Grâce à ça il peut se faire des systèmes de tableau et de tâches. Cette application l’aide à se faire des listes et se mettre des alertes. On peut donc se dire que l’un ou l’une s’occupe de la tâche épicerie de A à Z, donc ça fait que l’autre n’a plus à y penser.

C’est dur au début, mais c’est encore plus dur de le casser après. Mes ami.e.s qui ont des enfants se sont habitué.e.s très tôt à ce que ça soit la femme qui gère tout, et après c’est dur de revenir en arrière.

Il y a un truc de laisser-aller je pense. Ça demande vachement de confiance.

Vous travaillez de manière intermittente et vous voyagez beaucoup. Votre mode de vie vous aide-t-il à prendre le temps de réfléchir à ces thématiques ?

On prend beaucoup de temps pour réfléchir. Assez souvent on se fait un bilan de notre situation de couple.

Et une fois par année on fait un bilan plus formel, on se livre une pizza avec le verre de vin et là on se fait un petit topo. On prend différents aspects et on en discute en profondeur. Et aussi par rapport à notre évolution personnelle : comment on se voit, comment s’améliorer.

C’est quelque chose qu’on devrait faire dans toutes les sphères de nos vies, avec nos ami.e.s aussi. C’est rare qu’on demande à nos ami.e.s ce qu’on peut améliorer selon elles et eux.

Comment arrivent les réflexions, les discussions féministes, dans votre couple ?

Dans notre couple on réfléchit à tous les types de privilèges : capacitisme, racisme, etc, ça ne se limite pas au féminisme. On est vegan aussi et on réfléchit beaucoup à ça.

Dès qu’on a de nouvelles réflexions qui arrivent, on en discute. Par exemple pour l’épilation, j’ai une amie qui ne s’épile pas, et qui a une très forte pilosité, et j’en avais parlé avec elle. Après je suis revenue, le soir, j’ai parlé à Fabien et je lui ai dit « j’y pense moi-aussi ». Dès le début il m’a encouragée là-dedans, il m’a dit : « si t’as envie, moi je t’encourage, je vais te trouver belle quand même ».

Ça part de petits détails aussi. Une fois par exemple je me suis grattée le pubis devant lui, et il m’a fait remarquer qu’il n’aimait pas trop quand je faisais ça et qu’il ne trouvait pas ça attirant. Après ça m’a tracassé donc je suis retournée le voir le soir avec cette discussion-là. Je lui ai dit « les hommes font tout le temps ça, se gratter la ‘poche’ comme on dit au Québec, pourquoi les filles on n’aurait pas le droit de se gratter ? » Je ne le ferais pas en public, mais dans mon salon… Il m’a dit qu’il n’avait vraiment pas trouvé ça beau. Mais la question c’est : est-ce qu’il faut tout le temps que je sois belle, quand je suis dans mon salon, à 22h le soir à regarder Netflix… La grosse réflexion c’est surtout pourquoi les femmes, il faudrait qu’on soit tout le temps cute, bien placée… Donc des fois c’est des petits éléments déclencheurs qui font qu’on arrive à une réflexion plus globale.

Finalement il m’a dit « pardon, tu peux bien te gratter le pubis devant moi, tu as raison ». Ça a un effet très libérateur de me dire que des choses comme ça, j’ai le droit de le faire devant lui.

Comme je te disais, ma réflexion féministe dans le couple est venue avec Fabien, depuis 5 ans. Avant je me considérais féministe dans mes actions, j’étais avec Oxfam, la lutte pour que les petites filles aillent à l’école, mais c’était toujours extérieur. Ou la violence conjugale, ou l’équité salariale, c’est des choses que tu entends et tu veux militer pour ça. Mais après tu te rends compte que dans ton couple ce n’est pas parfait non plus.

Le féminisme, l’égalité entre les femmes et les hommes, est-ce un sujet dont vous parliez, à l’école ?

Oui. Un de nos professeurs nous avait beaucoup éclairé.e.s dans la classe. Il avait fait écrire sur un bout de papier une question sur la sexualité, on mettait tout dans un chapeau et il piochait au hasard, donc on ne pouvait pas savoir qui l’avait écrit. Ça avait été vraiment libérateur. Il faisait aussi des vrai ou faux, comme « est-ce qu’une fille peut éjaculer ? ». On avait 16 ans. C’est assez intéressant pour parler de ces choses-là. Je me rappelle aussi qu’on avait eu un film sur l’excision. On avait 15-16 ans, le prof avait dit « si c’est trop difficile pour vous, vous pouvez sortir de la classe ».

On parlait déjà de ces choses-là, mais là récemment c’est plutôt une réflexion sur les petites choses subtiles.

Dans ta famille, comment ça se passe quand vous parlez de féminisme ?

Ce n’est pas un sujet dont on parle. J’ai été élevée par une femme seule, je n’ai pas de frères et de sœurs, je n’ai jamais connu mon grand-père non plus. C’était mère, grand-mère, fille, donc j’ai été élevée dans un milieu de femmes fortes. C’est peut-être ce qui fait mon bagage féministe.

À quel moment tu t’es dit que tu étais féministe ?

Je pense que ça a commencé vraiment jeune, au secondaire. C’est là que je me suis rendue compte qu’il y avait quelque chose d’injuste. Je me considérais féministe, mais je ne voyais pas ce qui n’allait pas au Québec, je voyais seulement les choses à l’étranger. À 15-16 ans j’étais engagée dans Amnesty International, dans Oxfam, dans les groupes scolaires… Pour moi c’était ailleurs, il fallait militer parce que des femmes dans le monde n’étaient pas traitées de la même manière que les hommes À un moment donné j’ai même voulu aller faire un certificat en relations internationales. J’ai travaillé sur le micro-crédit, qui concerne plutôt les femmes.

À 15-16 ans j’aimais dire « je suis féministe », mais je pense que je ne comprenais pas vraiment ce que ça voulait dire concrètement, comme femme, je n’étais pas une femme encore. Je ne militais pas pour moi, pour mon entourage, ou la femme québécoise de manière générale. J’avais vraiment l’impression qu’on était égales.

J’ai habité toute ma vie dans une petite ruelle où les gars et les filles on jouait au Hockey ensemble… Moi quand j’étais enfant je voulais être gardienne de but. C’est dispendieux** donc je n’ai jamais pu, mais j’ai joué au soccer. C’était vraiment courant. Il y avait beaucoup de filles qui jouaient au soccer. On avait une ligue de jeunes filles. Donc comme petite fille je ne me suis jamais sentie obligée de suivre un certain standard. J’aimais autant les barbies que jouer au hockey dans la rue. C’est peut-être pour ça que je n’ai jamais eu à me faire de réflexion là-dessus.

C’est en vieillissant que je me suis rendue compte que c’est partout autour de nous. Par exemple en France c’est encore les droits de l’Homme… Je trouve ça aberrant.

As-tu des médias privilégiés pour te renseigner sur les questions féministes ?

Je trouve qu’il y a énormément de belles choses sur les médias sociaux. Par exemple les Brutes c’est des capsules vidéo par deux filles, ouvertement féministes. Ça marche très bien. Une des deux, Lily Boisvert s’est carrément promenée seins nus pour voir ce qui se passait. Je l’avais trouvée vraiment courageuse. Parce qu’on devrait avoir le droit nous aussi de nous balader seins nus. C’est un beau modèle.

Il y a aussi Louis T, un humoriste pro-féministe, qui parle entre autre de la culture du viol, de manière humoristique, pour en parler aux gars.

Je suis aussi abonnée à la page Facebook Décider entre hommes, c’est pour mettre en évidence tous les moments où on ne parle que d’hommes, dans toutes les sphères de la société. Par exemple cet été il y a eu une compétition canadienne de tennis en Alberta. C’est une canadienne qui a gagné le championnat, première place, et dans un article de journal ils ont parlé de l’autre championnat où il y avait d’autres canadiens. Sur l’article il y avait écrit « une canadienne gagne la médaille d’or » et l’image qu’on voyait ce n’était que des hommes. Si tu vois ça tu peux le soumettre à la page Décider entre hommes. Récemment il y a eu le concours de l’innovation sociale, et tous les gagnants sont des hommes.

Est-ce que depuis que tu te revendiques féministe, tu es plus exigeante avec toi-même ?

J’espère que j’en parle bien aux autres. J’espère ne pas en parler tout le temps et être lourde. Je pense qu’il faut tout le temps que ça soit amené de manière positive et que les gens arrivent à la réflexion eux-mêmes. Je ne suis pas dans la revendication, je ne suis pas du genre à venir en parler, mais c’est plutôt dans les petites choses, qui me frappent plus, et je vais parler à mes ami.e.s.

J’essaye d’enclencher la réflexion, je ne dis même pas mon opinion personnelle. J’essaye de choisir mes moments aussi, j’attends que les gens viennent vers moi pour en parler. Si je force, ça ne marche pas. C’est des astuces que j’ai prises du véganisme. Tu mets des bribes de réflexion, et quand les gens sont prêts ils viennent t’en parler. Ce n’est pas en imposant mon opinion que ça marche. C’est aussi ma personnalité, je déteste la confrontation.

Il faut des gens qui s’engagent dans des associations, mais en parler aussi au quotidien, ça avance. Et Fabien, quand il retourne en France, la dernière fois il était avec ses potes et un a sorti une blague sexiste, juste pour rire, et Fabien a dit « excuse mais je trouve ça pas drôle ce que tu viens de dire ». Il me l’a conté le lendemain, lui ai dit bravo, parce que ça demande vraiment du courage.

À ton avis, les hommes peuvent-ils s’engager ?

Pour les hommes je pense que c’est un bon début s’ils peuvent reconnaître qu’ils ont un privilège. Parce que ce que j’ai réalisé récemment dans la notion de privilège masculin, c’est que disons qu’on est égales/égaux, si l’homme a un privilège, forcément un déséquilibre se crée. Pour que les femmes et les hommes soient égaux, il faut que les hommes acceptent de perdre des privilèges. Et ça doit être dur.

Donc si tous les hommes réfléchissaient à leurs privilèges comme homme, ça serait déjà un bon début. Par exemple le privilège de ne pas avoir à payer de pilule contraceptive, ne pas avoir à y penser chaque soir.

Tu me disais que toi et Fabien êtes vegan. Comment cette réflexion t’est venue, personnellement ?

Il y a sept ans je suis devenue végétarienne et après végane. Ça m’a fait une illumination. C’est tout relié. On parle beaucoup d’intersectionnalité des oppressions récemment. Devenir végane ça m’a un peu ramenée à mes anciennes amoures pour le féminisme.

Il y a un livre vegan La politique sexuelle de la viande***, qui parle des relations entre véganisme et féminisme. Il y a ce qu’on appelle l’éco-féminisme, c’est l’intersectionnalité entre féminisme et véganisme.

Tu aurais un exemple de lien entre spécisme et sexisme ?

Par exemple, pourquoi PETA ressent le besoin de montrer des femmes avec des morceaux de viande pour parler du spécisme**** ? Ça m’a fait repenser au féminisme, parce que j’avais pris une sorte de pause dans mes réflexions, je n’étais plus vraiment dans le féminisme depuis quelques années, j’y avais été beaucoup adolescente et après j’étais passée à autre chose dans ma vie, plutôt les droits humains avec Amnesty, le droit à la liberté d’expression… J’étais plus là-dedans. Et c’est vraiment en devenant végane que j’ai repensé au féminisme. Tu n’as pas le droit d’utiliser le corps de la femme pour militer pour les animaux.

Et au-delà, je trouvais ça vachement injuste, pourquoi la femelle vache se fait retirer ses veaux à la naissance ? Parce que c’est sa condition de femelle, c’est ce qui fait qu’elle est loin de ses veaux. Et je me dis même notre rapport aux animaux est teinté de misogynie. Et quand tu vois des pubs aussi. Dans les publicités, on va voir l’homme devant le barbecue, parce que le tofu, c’est pas fait pour lui, lui c’est un homme viril.

Propos recueillis auprès de Noémie Albert, le 12 octobre 2017, à Montréal

Notes et références

* L’épicerie, à comprendre comme « les courses »

** Dispendieux, ou cher

*** La politique sexuelle de la viande de Carol J Adams, paru en 1990, explore les relations entre les valeurs du patriarcat et le fait de consommer de la viande

**** Le spécisme, c’est l’exploitation et l’oppression fondée sur l’espèce

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