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Dans la prostitution, « à la misogynie s’ajoute une dimension raciste »

Alors qu’en 2014 le Gouvernement Harper, conservateur, a passé une loi criminalisant l’achat de services sexuels et en décriminalisant la vente, des efforts restent à faire pour faire reculer effectivement l’exploitation sexuelle.

Élaine Grisé, militante depuis plusieurs années pour l’abolition de la prostitution, est revenue pour nous sur la situation au Canada en matière de prostitution. Elle nous raconte la mobilisation des association abolitionnistes pour peser dans l’adoption de la loi, les événements dramatiques qui ont provoqué des prises de conscience au sein de la population et l’opposition des groupes de pression qui considèrent l’achat de services sexuels comme l’achat de n’importe quel autre service. Elle évoque aussi la dimension raciste du système prostitutionnel, et ses connexions avec le crime organisé.

Avant la création de la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle (CLES) en 2005, est-ce qu’il existait des structures qui travaillaient sur la question de la prostitution ?

Il n’y avait rien au Québec sur cette problématique, sauf les organismes qui travaillaient avec les victimes d’agressions sexuelles. C’était à peu près les seuls endroits où il pouvait y avoir une certaine dénonciation de l’industrie du sexe, parce qu’on y parlait de violences sexuelles faites aux femmes, de non-consentement, donc c’étaient les plus proches. Les Centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) ont été parmi les premiers groupes à s’associer à la CLES. On parlait beaucoup d’agressions sexuelles à l’époque, mais parler de l’industrie du sexe n’était pas une priorité. Le discours était vraiment que c’était un choix.

Donc, plusieurs personnes et groupes se sont regroupées en concertation pour faire quelque chose contre le discours ambiant, et surtout, pour dénoncer l’industrie du sexe. Au fil des ans, La CLES a réussi à obtenir du financement, à avoir une reconnaissance et à faire connaitre l’approche abolitionniste.

Avant la création de la CLES, vers qui les femmes en situation de prostitution pouvaient-elles se tourner ?

Quand la CLES n’existait pas, quand une femme voulait sortir de la prostitution, elle était envoyée chez Stella*. Mais dans les associations pro-prostitution, quand une femme vient les voir et leur dit que les clients sont violents, l’association leur donne des trucs, des astuces pour se défendre. Par exemple : « dis toujours à tes collègues à quelle heure tu vas travailler », ou « mets un bâton sous ton oreiller pour te défendre ». Voilà leur vision de l’aide aux femmes. En Australie, un organisme a rédigé tout un document pour donner aux travailleuses du sexe des astuces de sécurité. Il n’y a aucun emploi, même dangereux, dans lequel tu dois accepter autant de risques de violences. Tu peux lire dans ce « guide » que c’est possible que tu sois battue, que tu sois tuée, que tu sois agressée… C’est complètement banalisé, c’est sensé faire partie du « métier ». Mais pour quel autre métier dans la vie on te dit qu’il est normal d’être agressée ? Et les vrais métiers dans lesquels tu as des risques de mourir, tu es bien payée, tu as des soins psychologiques, tu as des congés maladie… (Dans les pays occidentaux du moins).

Les femmes dans la prostitution n’ont pas d’aide. Quand un client vient de les agresser, personne ne les aide. Une femme qui voulait sortir de l’industrie se faisait conseiller de simplement essayer une autre forme de commerce sexuel ! C’était à tout le moins ce qui se passait jusqu’à tout récemment.

En 2014 le Canada a adopté la loi C-36, qui criminalise l’achat de services sexuels, et qui décriminalise les femmes en situation de prostitution. Elle reconnaît la violence contre les femmes que constitue le système prostitutionnel, et responsabilise les clients de la prostitution. Cette loi porte-t-elle une vision abolitionniste ?

Oui et non. Oui, dans le sens qu’elle entend punir le client, on veut lui dire qu’il n’a pas le droit d’acheter des femmes et des services sexuels. Entendons-nous, la punition n’est pas très importante, il s’agit d’une amende. On ne met pas les acheteurs de sexe en prison. Et il y a eu avec cette loi une reconnaissance que la prostitution est une violence faite aux femmes et une inégalité entre les sexes. De ce point de vue-là, c’est abolitionniste, bien que la loi n’utilise pas cette expression.

Mais ce qui manque pour que ce soit vraiment abolitionniste, si on parle du modèle nordique, c’est qu’il n’y a pas vraiment d’efforts qui ont été faits pour aider les femmes à sortir de la prostitution. 20 millions de dollars** ont été investis, mais dans tout le Canada. Ce n’est pas beaucoup. De l’argent est donné ici et là à quelques organismes qui veulent aider les femmes à sortir de la prostitution, mais il n’y a pas eu de plan précis de construit. Par exemple, il y a peu de temps, un groupe d’hommes religieux a reçu de l’argent du gouvernement pour aider les femmes à sortir de la prostitution. C’est aberrant, alors qu’il y a plein de groupes de femmes qui pourraient tout à fait le faire mais qui manquent d’argent.

Il y a un manque au niveau financier également pour faire des campagnes de prévention partout au Canada. Et un manque de volonté politique d’arrêter les publicités sexistes. Il y a plein de trucs qui viennent avec ça. Toute la culture du viol… La banalisation de l’achat du corps des femmes se retrouve à plusieurs niveaux.

Les abolitionnistes ont aussi critiqué un article de loi qui maintenait que si une femme vendait des services sexuels autour d’une école ou d’un lieu de culte, elle serait encore légalement punie. Nous demandions la décriminalisation complète des femmes.

Et que prévoyait la loi avant 2014 ?

En théorie, elle pénalisait les clients et les prostituées. Les articles de loi n’étaient pas dans la section des crimes contre la personne ou les violences, mais dans la section ‘moralité’. Donc c’était mal vu parce que ce n’était pas moral, et non pas parce que c’était un acte de violence envers les femmes. Plein de femmes se faisaient arrêter, bien plus que les clients.

Qu’est-ce qui a poussé à ce que l’ancienne loi soit modifiée ?

Trois personnes pro-prostitution sont allées en cour pour faire invalider la loi et demander la légalisation de la prostitution, mais aussi du proxénétisme, disant qu’elle était discriminatoire et les mettait en danger. Elles ont gagné en première instance et ça a ébranlé le système. Les groupes de femmes se sont mobilisés et il y a eu une coalition nationale qui regroupait plusieurs groupes canadiens, qui ont payé des avocates et des juristes spécialistes de la question, pour aller nous représenter en Cour. Finalement, le gouvernement a été obligé de changer la loi, car il y a eu une reconnaissance que la loi n’était plus adéquate. Mais on ne savait pas ce que le gouvernement allait faire, ce qui allait sortir de la nouvelle loi. Le gouvernement Harper était plutôt religieux et anti-avortement, et n’avait pas à cœur les droits des femmes. Mais comme ils sont religieux, ils n’aiment pas la prostitution…

Quand le gouvernement a sorti la loi, on a été soulagées. On était relativement contentes de voir que les clients seraient pénalisés, et non plus les femmes. Il demeure que concrètement, peu de clients sont arrêtés au moment où l’on se parle.

Au moment où la loi est passée, 60 organisations pro-travail du sexe ont appelé à l’abroger. Est-ce qu’il y a encore aujourd’hui, trois ans après, une forte opposition au modèle abolitionniste ?

L’opposition vient encore principalement des groupes pro-travail du sexe. Dans la population, il y a eu une prise de conscience sur la question, du fait que ça a été débattu dans les médias. L’abolition est loin d’être favorisée par tout le monde, mais il y a quand même une moins grande acceptation de la prostitution dans la population. Les gens semblent se rendre davantage compte qu’il y a une dimension de violence là-dedans, et d’exploitation.

Qu’est-ce qui fait évoluer les mentalités d’après toi ?

Depuis quelques années, il y a beaucoup de jeunes filles qui ont été prises dans des réseaux de prostitution. Des mineures. Des filles en fugue, des filles qui n’habitaient plus dans leur famille, qui ont fugué et qui ont été retrouvées prises dans des réseaux. Ça a alerté la population.

Nous on le répète depuis toujours, l’âge d’entrée dans la prostitution est autour de 14 ans. Ce n’est pas à 30 ans, c’est quand tu es jeune, quand tu peux plus facilement être manipulée. Là les gens ont eu la preuve que c’était vrai, et ce n’était pas juste un cas, mais qu’il y avait beaucoup de filles à qui ça arrivait.

Je pense que ça a aidé à ce que les gens réalisent qu’il y avait un problème et voient que des gangs profitent de ces jeunes filles. Et ce qui a aidé à la prise de conscience aussi, c’est qu’il s’agissait de filles « de bonne famille » et c’est toujours considéré comme plus grave dans la société, ça choque plus quand ce sont des filles de familles aisées, que quand ce sont des femmes autochtones, des pauvres, des itinérantes, etc. C’est triste qu’il faille attendre que quelque chose arrive aux blanc.he.s aisé.e.s pour que le monde se réveille. Mais au moins ça a réveillé les gens.

Les anti-abolition, pro-prostitution, comment leur opposition se manifeste ?

Par rapport à cette question des jeunes qui avaient fugué, tout ce que les pro « travail du sexe » ont dit  c’est : « nous sommes toujours contre ça nous-aussi quand il s’agit de mineures ». Parce que leur excuse est qu’il n’y aurait que des femmes adultes dans la prostitution. Comme si les femmes, au jour de leurs 18 ans, décidaient d’un coup de devenir empowered et d’aller faire de la prostitution. Elles disent qu’elles sont tout à fait contre la prostitution des mineures et contre le trafic, mais elles disent dans le même temps qu’il n’y a pas de trafic au Canada. On sait très bien que c’est faux.

Elles sont moins présentes qu’avant, parce qu’il y a maintenant une contre-argumentation. Avant, quand il y avait un article ou un reportage sur la question, c’est toujours elles qui étaient appelées par les médias, parce qu’elles se disaient les expertes de la prostitution. Quand la CLES a vu le jour, Stella n’était pas contente de voir qu’il allait y avoir une opposition à son discours. Au début, elles nous dénigraient en disant qu’on était violentes, qu’on détestait les femmes en prostitution, qu’on était putophobes, etc. Elles racontent encore beaucoup de mensonges sur les abolitionnistes. Comme si ce n’était pas les clients les violents mais les femmes abolitionnistes.

Graduellement, la CLES a été de plus en plus appelée et reconnue. Donc, le discours qu’on porte est aussi dans les médias maintenant. Les pro travail du sexe sont encore très présentes, mais l’appui de la population ne leur est plus acquis.

Campagne de prévention 2017 à l’occasion du Grand Prix automobile de Montréal, par la CLES, le Y des femmes de Montréal et le Comité d’action contre la traite humaine interne et internationale (CATHII)

Y a-t-il des actions de sensibilisation contre l’exploitation sexuelle ?

Quelques-unes. Pendant le Grand Prix automobile, les policiers remettent aux hommes un pamphlet qui dit qu’acheter du sexe est illégal. C’est un grand pas, ils n’auraient jamais fait ça avant.

Des petites actions sont faites, mais ce n’est pas suffisant, si on compare avec la Suède par exemple.

Justin Trudeau, l’actuel Premier ministre, n’aurait jamais passé cette loi, il est libéral, donc tout est une question de choix pour son parti et lui. Il ne veut pas nécessairement changer la loi, mais il ne veut pas non plus la peaufiner ou mettre de l’énergie dessus, donc ça ne bouge pas. Les groupes pro travail du sexe font beaucoup de pressions sur lui. Par ailleurs, les policiers arrêtent parfois les clients, mais seulement quand il s’agit de cas importants, impliquant plusieurs personnes. Il y a parfois des descentes dans des salons de massages ou des bars de danseuses. Mais peu d’argent est déployé pour ça, donc les policiers mettent leur énergie sur l’arrestation de ceux qui prostituent des mineures et sur le trafic. Ils vont au plus urgent. Donc, avec la quantité d’hommes qui achètent du sexe, c’est impossible de tous les attraper. On est très loin des efforts mis par la Suède.

Arrestation d’un client de la prostitution par l’unité « prostitution » de la police de Stockholm. Extrait vidéo en suédois, sous-titré en anglais.

Les salons de massage étaient un enjeu important sous la mandature de Denis Coderre [le maire sortant de Montréal], qui avait promis de les faire fermer. Ces salons, qui se présentent comme des centres de massothérapie, où les hommes viennent en réalité consommer des services sexuels, combien y en a-t-il à Montréal ?

Il y en a entre 200 et 300 à Montréal.

Pourquoi est-il difficile de les faire fermer ?

Parce qu’il faut prendre les clients sur le fait, parce que l’équipe de police qui y travaille est très petite, et aussi parce que ces salons de massage ont des permis et doivent payer ces permis à la ville. La ville retire pas mal d’argent de ces permis. Quand tu veux ouvrir un commerce, mettons une bijouterie, tu dis que tu ouvres une bijouterie à tel endroit et tu payes ton permis.

Si quelqu’un fait une demande de permis en indiquant que ce sera un salon de massage, la ville sait probablement qu’il va y avoir de la prostitution. Mais le demandeur indique que son commerce sera de type « clinique médicale », « soins corporels », « clinique de santé », il peut écrire n’importe quoi. Et sa demande de permis sera acceptée.

La Suède a mis en place une loi d’abolition en 1999, fondée sur l’idée que la prostitution est une violence contre les femmes. Ce faisant, la loi criminalise l’achat de services sexuels, mais pas la vente d’actes sexuels. Comme l’explique Simon Häggström, officier de police au sein de l’unité « prostitution » de la police de Stockholm, « s’il n’y avait pas d’acheteurs, nous n’aurions pas de prostitution. Le problème c’est que nous avons des hommes qui sont prêts à payer pour obtenir des services sexuels ». En criminalisant l’achat de services sexuels, « nous nous concentrons (donc) sur la demande ». Interview en anglais.

Des contrôles ne sont pas prévus ?

Il pourrait y en avoir s’il y avait une volonté politique.

Sur une vitrine où il y a écrit « soins corporels », tu pourras voir écrit en lettres au néon « massages », donc tout le monde sait ce qui se passe dans ce salon de massage. Parfois il y a écrit « clinique de massothérapie », mais dans une clinique de massothérapie normalement il y a des vrais massothérapeutes avec des certifications, et y sont indiqués les différents massages offerts, souvent il y a des cours de yoga aussi… Au contraire des salons « érotiques ».

La difficulté aussi est que les gérants ont eu leur permis en bonne et due forme, donc ils ne sont pas illégaux à ce niveau-là. Et si on n’attrape pas le client pendant un acte prostitutionnel, au moment où la police entre, on ne peut pas le prouver.

Donc, il faudrait être plus strict au départ dans l’attribution des permis, et avoir des preuves de ce qui va se passer. Et après, quand il y a des plaintes de la population, il faudrait qu’elles soient prises en compte. La ville pourrait retirer des permis, quand les services offerts ne sont pas ceux annoncés. Mais pour cela il faudrait des enquêtes, des moyens… Et je comprends bien que pour les accuser de prostitution il faut les attraper sur le fait. Mais pour retirer le permis c’est moins contraignant.

Des journalistes sont allés dans des salons de massage, anonymement, pour demander les services qui étaient proposés. Et c’était clair. Le personnel, les masseuses disaient clairement ce qu’il y avait comme service sexuel.

Il est facile d’ouvrir un salon de massage, il n’y a pas de critère pour aller demander un permis. Tu remplis le papier, tu payes et tu ouvres. C’est rare que la ville fasse fermer des salons de massage. Quand c’est le cas, c’est quand il y a eu des plaintes qu’il y a des mineures qui y travaillaient.

Et souvent les salons ferment et vont rouvrir ailleurs. Donc c’est dur de les suivre tout le temps. Je l’ai vu quand je faisais ma recherche, les adresses changent, c’est dur de savoir à qui ça appartient, parce que tu peux retrouver le même gérant sur plusieurs salons en même temps. C’est la même chose pour les escortes, sur les sites il est souvent indiqué que la femme est escorte indépendante, mais le numéro de téléphone pour la contacter est le même que pour d’autres escortes. Souvent, il est écrit qu’elle est indépendante mais qu’il faut appeler un homme…

Lorsqu’on parle de prostitution ou de pornographie le terme d’ « industrie du sexe » revient souvent. Que signifie cette expression ?

Industrie, parce que comme pour le cinéma ou la musique, c’est une industrie de plusieurs dizaines de milliards de dollars à travers le monde, il y a énormément de gens qui travaillent dedans, il y a une très grande organisation, le trafic humain est impliqué là-dedans, les réseaux… Ça fonctionne comme n’importe quelle autre industrie. Par exemple, l’industrie du cinéma pornographique fonctionne comme n’importe quelle autre industrie. C’est complètement ouvert et accepté et tout à fait banalisé. C’est comme une entreprise legit. Mais évidemment il y a aussi le crime organisé derrière. Quand il se brasse beaucoup d’argent, il y a du crime organisé.

La prostitution c’est plus illégal et caché, c’est plus underground, sauf dans les pays où elle a été légalisée, comme en Allemagne par exemple, où le proxénète est un homme d’affaire tout à fait honorable au même titre que le banquier. Mais c’est aussi une industrie qui est mondiale. Pour répondre à la demande pour des femmes, ça prend des femmes pauvres, d’Afrique, d’Europe de l’Est, d’Asie, qu’on va chercher et qu’on amène ici, donc il y a un trafic de femmes, un trafic d’enfants. C’est tout le temps lié au crime organisé, avec le trafic de drogues, d’armes à feu…

Le terme « industrie du sexe » est utilisé à la fois par les pro et les anti ?

Oui. Pour les pro, c’est pour montrer que c’est une industrie légitime, comme on le dirait de l’industrie de l’automobile ou de n’importe quoi d’autre.

Pour nous, les abolitionnistes, c’est pour montrer que c’est énorme et organisé. Parce que les gens parfois nient à quel point c’est énorme et organisé. Dire « industrie » ça permet de parler du trafic, de l’organisation. On fournit les commerces en jeunes filles en fugue, en femmes trafiquées. Il faut les faire changer d’endroit souvent, pour que les clients ne se lassent pas, pour qu’il y ait de la « chair fraiche » et pour déstabiliser les femmes.

Donc si je comprends bien, pour les pro, utiliser le terme d’industrie légitime, et pour les abolitionnistes, c’est une manière de casser l’idée de choix individuel.

Et de démontrer que ce n’est pas si banal et montrer que cette industrie est partout, et qu’elle a des liens avec d’autres industries : l’industrie de la mode, du cinéma, etc. On le voit avec les hommes accusés d’agressions en ce moment. Là où il y a de l’argent et du pouvoir, il y a de l’exploitation des femmes. Quand il y a des tournages de films américains à Montréal, les producteurs et les acteurs, que penses-tu qu’ils font le soir après leur journée de travail ? Ils font appel à des escortes de Montréal ou ils vont dans les clubs de danseuses. Tout est lié. Parce que les hommes, partout dans le monde, il faut qu’ils aient des femmes à leur service.

On utilise aussi le terme « système prostitutionnel », qui a une connotation plus négative, pour démontrer comment tout ce système se met en branle, et tous les liens qu’il a avec d’autres aspects du marché capitaliste et des violences sexuelles.

Prends un magasin qui vend des accessoires érotiques, ce qui n’est pas un problème en soi. Mais dans ce magasin, on annonce des soirées fétichistes, des clubs échangistes. Les clubs échangistes aussi, en soi, si des adultes veulent y aller, il n’y a pas de problème. Mais on sait que peu de femmes veulent aller dans les clubs échangistes, donc des prostituées sont amenées là. Les hommes ne peuvent pas entrer seuls dans un club échangiste, il faut que ça soit un homme+une femme. Et pour combler le manque de femmes consentantes, soit des hommes arrivent là avec des escortes, soit le club fournit des escortes.

Tu veux dire qu’il y a une porosité entre les acteurs de l’industrie ?

Quand j’ai fait le portrait de l’industrie du sexe pour la CLES***, je voyais que quand tu vas sur internet et que tu regardes les pages d’annonces d’escortes, les salons de massage, il y a des publicités pour tel magasin érotique par exemple. C’est en partie la même clientèle, donc ils ont quand même des liens d’affaires. Si tu cherches un bar de danseuses, des fenêtres de publicité apparaissent pour proposer des agences d’escortes, des massages, etc.

Et pour les femmes en situation de prostitution, comment se manifeste cette porosité ?

Il y a un trafic de femmes entre Montréal, Niagara Falls et Toronto. Les femmes du Québec sont envoyées à Niagara Falls parce qu’il y a une demande pour des French Canadien au Canada anglais. Il y a encore un préjugé comme quoi les French Canadien seraient plus ouvertes, plus dévergondées. C’est un mythe qui remonte à la colonisation, les French Canadien c’étaient les prostituées, c’étaient les plus pauvres. Au Canada, les autochtones et les québécoises étaient les « filles de joie ». Il y a même des hommes des Etats-Unis qui viennent jusqu’à Montréal pour consommer des femmes d’ici. De nos jours, les commerces ont leur créneau. Dans les salons de massage, on retrouve beaucoup de femmes de l’Europe de l’Est et d’Asie, dans les bars de danseuses c’est plutôt les French Canadien. Dans les agences d’escortes, il y a beaucoup de demande pour des femmes « exotiques ».  Les femmes autochtones sont plutôt dans la rue et autour des chantiers dans le Nord. À la misogynie s’ajoute donc une dimension raciste.

Est-ce que c’est dangereux de travailler sur ces sujets ?

Oui, absolument. Ici à Montréal les abolitionnistes n’ont pas été menacées, mais dans plein d’autres pays il y en a qui ont été agressées. Et je ne parle pas de tout le harcèlement et l’intimidation, qui est bien présent ici. J’imagine qu’on n’est pas si menaçantes ici, puisqu’on n’est pas menacées, ça doit vouloir dire qu’on n’ébranle pas les affaires à la base.

Propos recueillis auprès d’Élaine Grisé, le 21 octobre 2017, à Montréal

Notes et références

*Stella est une organisation montréalaise pro-travail du sexe née en 1995 et revendiquant comme objectif d’ « améliorer la qualité de vie des travailleuses du sexe, de sensibiliser et d’éduquer l’ensemble de la société aux différentes formes et réalités du travail du sexe afin que les travailleuses du sexe aient les mêmes droits à la santé et à la sécurité que le reste de la population. »

**20 millions de dollars canadiens, soit aux alentours de 13,6 millions d’euros

*** En 2011, la CLES sort un « Portrait de l’industrie du sexe et des besoins des femmes ayant un vécu en lien avec la prostitution », réédité en 2014, note notamment que « de plus en plus de femmes issues des communautés culturelles diverses se retrouvent dans l’industrie. Nous les retrouvons surtout dans les salons de massage où l’origine ethnique des employées est régulièrement mise de l’avant, ainsi que les soi-disant caractéristiques racialo-sexuelles qui y sont associées (asiatique soumise et gentille, afro-américaine ou caribéenne chaude, latina bombe sexuelle, etc.), et en nombre moindre dans les agences d’escortes. ». Lire l’ensemble du rapport

Lire le portrait d’ Élaine Grisé

Élaine Grisé, militante engagée et engageante pour l’abolition de la prostitution

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