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L’un des avatars de l’antiféminisme : le masculinisme

Entretien avec Mélissa Blais, chercheuse, qui consacre sa thèse au contre mouvement antiféministe au Québec

Alors que l’actualité est marquée une fois encore par des crimes de haine contre les femmes, nous sommes forcées de nous rappeler que l’antiféminisme tue. Les antiféministes assassinent. Et ce faisant, ils terrorisent, ils créent des failles, des brèches, des doutes. Tentatives de fragilisations des féministes, stratégies d’intimidation, d’imposition du silence par la peur.

En octobre dernier, nous avons rencontré la chercheuse Mélissa Blais, qui achève une thèse en sociologie sur l’antiféminisme au Québec et ses impacts sur les mouvements féministes. Avant cela, elle avait consacré son mémoire de maîtrise à l’attentat de Polytechnique du 6 décembre 1989*, et la bataille discursive et mémorielle autour de cet événement.

L’entretien qu’elle nous a accordé nous éclaire sur la manière dont s’organise le contre-mouvement antiféministe, et les stratégies que ces groupes mettent en œuvre pour déstabiliser les luttes féministes : de la légitimation d’un discours antiféministe diffus à l’imposition de la terreur aux femmes.

Cet entretien est divisé en trois parties:

Première partie – L’antiféminisme au Québec

Deuxième partie – L’un des avatars de l’antiféminisme : le masculinisme (ci-dessous)

Troisième partie : L’attentat de Polytechnique à Montréal : la construction médiatique et la bataille mémorielle autour de l’événement du 6 décembre 1989

Qui sont les masculinistes ?

Ce sont des hommes qui prétendent qu’aujourd’hui les hommes sont en crise parce que les femmes et les féministes domineraient la société québécoise, les institutions politiques, la justice, etc.

Quels sont les sujets portés par les masculinistes ?

Parmi les problèmes centraux selon eux, nous avons les mères qui, avec la complicité des féministes empêchent les pères d’avoir accès à leurs enfants après un divorce ou une séparation, et les féministes qui exagèrent à propos du nombre de femmes victimes de violences masculines.

Comment le masculinisme est-il apparu au Québec ?

Le masculinisme, dans son développement, vient d’abord dans les années 1970-1980 suite à des initiatives pro-féministes. Ce sont dans les organisations d’hommes, en non-mixité, que se développe le discours masculiniste sur la crise de la masculinité. Ils reprennent aussi les tactiques organisationnelles des féministes, c’est à dire s’organiser en groupe de conscience, pour réfléchir à déconstruire leur masculinité, qu’ils estimaient dominante. Ils étaient diversifiés, et organisés autour de plateformes qui les mettaient en réseau. Une plateforme a été assez centrale. C’est celle de la revue Homme Infos qui publiait dans les années 1980, mais qui servait aussi de lieu de mise en réseau, où ils se retrouvaient pour discuter de différents enjeux. C’est là où on a vu les premiers groupes de pères se former, ainsi que les groupes d‘hommes qui cherchaient à travailler auprès des hommes, mais avec une perspective féministe, donc de responsabilisation. Plusieurs de ces organisations, au départ proféministes, sont devenues antiféministes.

Des militants de l’époque les ont identifiées comme « masculiniste ». Ils les ont dénoncé et ont fait éclater le réseau Hommes Infos, à l’intérieur duquel évoluaient plusieurs tendances. Il y avait la tendance « groupes de parole », avec le réseau Hommes Québec. Ils adoptaient une logique de groupe de conscience, mais version masculine, où ils se retrouvaient pour faire des rituels visant à retrouver leur masculinité perdue. Il y avait aussi la tendance « groupe de pères », qui a pris le devant dans les années 1990. Une autre tendance, qui a disparue, visait quant à elle, à réfléchir à une contraception masculine. Enfin, la tendance « organisme pour hommes violents » existe toujours actuellement avec celle des groupes de pères et des « groupes de conscience ».

Donc une transformation s’est opérée dans ces groupes, d’une approche pro-féministe, à une approche masculiniste. Qu’est-ce qui s’est passé ?

Leur problème à l’origine, c’est que contrairement aux pro-féministes qui se définissent comme tel, et qui ont claqué la porte, ils ne se situaient pas en alliance avec les groupes féministes et ne laissaient pas l’initiative aux féministes de définir leur propre réalité et de réfléchir à partir de la réalité des femmes. Ils ont décidé de réfléchir aux inégalités à partir de leur point de vue de dominants. Les pro-féministes ont entrepris au départ la même démarche, mais rapidement ils ont vu l’effet pervers d’une telle démarche. En mettant de côté le point de vue des femmes, ils risquaient fort de se victimiser. Ils ont ainsi modifié leur lecture des rapports sociaux de manière à travailler en alliance avec des femmes féministes et pour mieux saisir leur propre réalité en tant que catégorie sociale dominante. C’est ce qui fait qu’ils ont réussi à garder le cap, quand les autres se sont enfoncés dans un discours antiféministe. En effet, on ne peut pas juste penser un des deux groupes sans penser l’autre. C’est un non-sens du point de vue de la sociologie. Cela devient pourtant clair lorsqu’on discute de rapports de classe et que l’on souligne le fait que les pauvres existent parce qu’il y a des riches. À l’inverse, les masculinistes oublient cette évidence lorsqu’il est question des femmes et des hommes.

Hommes protecteurs et hommes violents : des rôles complémentaires ?

Dans une interview donnée aux Presses Universitaires du Québec, Mélissa Blais évoque une dichotomie dans le groupe social des hommes entre hommes violents et hommes protecteurs des femmes et des féministes.

Quel impact a cette distinction « hommes violents » et « hommes protecteurs » sur les luttes féministes : comment combattre un groupe social si celui-ci apparaît comme divisé entre « bons » et « mauvais » ?

« Cette mise en lumière que les hommes n’ont pas tous besoin d’être violents pour que le système fonctionne ne vient pas de moi. Elle vient de féministes des années 1970. Leur analyse est très juste, même encore aujourd’hui. Jalna Hanmer a écrit sur la violence comme contrôle social des femmes. Pas besoin d’agresser toutes les femmes pour exercer un contrôle. Nul besoin non plus que tous les hommes soient violents pour maintenir cette logique de peur en place. Il suffit d’agresser une femme pour que les autres aient peur, il suffit de perpétrer la menace voulant que puisque la rue, la nuit, appartient aux hommes, les femmes courent un danger de s’y aventurer. La violence permet de maintenir des espaces de non-mixité sociale, de contrôler les femmes dans l’espace, mais aussi le corps des femmes. Ça crée un effet de menace qui assure à ceux qui ne sont pas violents un rôle de protecteur. Mais  « l’homme protecteur » est en quelque sorte le pendant de l’homme agresseur, qui participe d’un même système qui avantage l’ensemble des hommes. Je m’explique : si j’ai peur de me faire agresser dans le rue, il se peut que je demande à un ami de me raccompagner. Il se peut aussi que je privilégie le concubinage hétérosexuel ou la colocation avec un homme pour me sentir en sécurité chez moi. Dans ces circonstances, qu’advient-il de mon autonomie ? Puisque des hommes biens intentionnés assurent diverses formes de protections, ils tirent aussi avantage du fait que des femmes ne sont pas en sécurité. Autrement dit, la violence maintient les femmes dans une dynamique de dépendance. Ce n’est pas nécessairement recherché, mais c’est un effet des violences masculines contre les femmes. En somme, les hommes violents servent aussi les intérêts des hommes non-violents. »

Les associations qui travaillent avec les hommes violents, au départ plutôt pro-féministes, se sont transformées et portent désormais souvent des discours masculinistes. Qui doit s’occuper de responsabiliser les hommes violents, et comment éviter que les associations qui se chargent de cela ne tombent dans la vision masculiniste de la crise ?

Je ne formule pas d’analyse programmatique. Je ne peux pas dire qui doit s’en occuper. Par contre dans la manière dont on intervient auprès des hommes violents, une association peut servir d’exemple. Il s’agit de L’accord Mauricie, qui travaille conjointement avec la maison d’hébergement de son secteur pour développer les outils d’analyse et des outils d’intervention. Ce faisant, ils tiennent compte de la réalité des conjointes violentées dans leurs interventions avec des agresseurs. Bref, il y a des initiatives, trop peu nombreuses, qui sont des exemples à suivre pour arriver à établir de bons schémas d’intervention auprès des hommes violents. Il faut que ces hommes soient pris en charge. Pour moi ça fait partie des filets de sécurité qu’on peut mettre en place pour les femmes.

Comment agir contre les masculinistes ?

Au début des années 2000, des masculinistes dénonçaient de manière explicite et transparente les féministes, hors des réseaux sociaux (et avant leur existence), utilisaient les termes « féminazie » par exemple et s’en prenaient parfois physiquement à des féministes. Du côté des féministes, il y avait un travail de veille fait sur les sites ; un travail de déconstruction de leur discours. Mais aujourd’hui, ils sont de plus en plus subtils. Ils semblent avoir été entendus par des décideurs, ce qui – disent certains militants – les auraient amené à délaisser l’action directe. Par contre, comme ils sont de plus en plus subtils depuis les années 2010, le travail de veille se fait moins. Ils sont moins démasqués.

Propos recueillis auprès de Mélissa Blais, le 14 octobre 2017, à Montréal

Lire la troisième partie de l’entretien : L‘attentat de l’école Polytechnique

Entretien avec Mélissa Blais, chercheuse
Troisième partie : L’attentat de l’école Polytechnique

(Credits photo – Antonino Geraci)

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